Année johannique

Oui, Jeanne est une sainte !

Extraits du discours prononcé le 20 Novembre 1955 en Notre-Dame de Paris par Mgr Lacointe, Évêque de Beauvais, Noyons et Senlis.

Jeanne d’Arc n’a jamais pénétré dans Paris. En bien d’autres villes : à Orléans, Auxerre, Troyes, Châlons, Reims, Senlis et même Beauvais, elle a fait une entrée triomphale parmi les vivats de la foule, elle est venue chanter le « Te Deum » dans la cathédrale. Mais dans Notre-Dame de Paris ou bat le cœur de la Patrie, elle n’est point venue.

Une fois, cependant Notre-Dame de Paris s’est emplie d’un peuple immense assemblé pour elle. Le 7 novembre 1455, Isabelle Romée, mère de Jeanne, accompagnée de ses deux fils survivants Jacques et Pierre d’Arc, se présenta toute dolente sous ces voûtes pour déposer devant un nouveau tribunal d’Église le rescrit du Pape Calixte III ordonnant la révision du procès de 1431 qui avait conduit Jeanne au bûcher de Rouen.

Vingt-quatre ans après sa mort tragique, la Pucelle commençait ici une nouvelle carrière qui ne devait point connaître de fin.

La réhabilitation de Jeanne nous est précieuse à deux titres.

  • En versant la pleine lumière sur la vérité historique, en nous dévoilant le rôle exact joué dans la destinée de Jeanne par les institutions et les hommes, elle nous permet de former sur eux un jugement exact et d’offrir à l’héroïne un hommage de réparation ;
  • En dressant devant nous le personnage authentique de Jeanne, elle nous met à même de recueillir ses leçons les plus riches, pour toutes les âmes, pour toutes les époques, la nôtre en particulier.

La Sainte Église catholique n’a pas à rougir devant la mémoire de Jeanne. Si quelques évêques et quelques clercs ont malheureusement abusé de leurs fonctions pour servir une mauvaise cause et verser le sang innocent, le Chef de l’Église les a énergiquement désavoués aussitôt qu’il a été informé. Caliste III a exalté le personnage de Jeanne d’Arc, préparant ainsi la tâche des Papes de notre temps qui la déclareraient bienheureuse et sainte.

La pauvre Jeanne a été de procès en procès : depuis Poitiers où le Dauphin l’avait soumise à l’interrogatoire des théologiens, jusqu’à Rouen pour trouver condamnation, jusqu’à Paris pour voir restaurer son honneur, jusqu’aux modernes procès de canonisation. C’est beaucoup pour une petite pastourelle.

À la vigueur de Jeanne s’unit une foi profonde, une piété sincère et démonstrative. Partout elle a ses chapelains, elle se confesse fréquemment, communie aussi souvent qu’elle peut. Si elle aime son épée, elle préfère « quarante fois » son étendard, où sont brodés les noms de Jésus et de Marie.

D’après l’un de ses chapelains, Jean Paquerel, augustin de Bayeux, « elle rassemblait les prêtres deux fois par jour, pour chanter des hymnes et des antiennes à Notre Dame. Elle n’autorisait en outre la présence que des soldats dûment confessés. »

« Quand elle voyait l’Hostie, elle pleurait à chaudes larmes », affirme le duc d’Alençon.

Religion saine, toutefois, et sans superstition :

« On lui apportait des patenôtres et des images à toucher. Elle riait », dit Marguerite La Thouroulde, et disait : « Touchez-les vous-mêmes, vos doigts valent mieux que les miens. »

La clairvoyance de Jeanne dans les choses de Dieu ne peut venir que du Ciel. Elle s’associe à une douceur angélique, à une tendresse forte et délicate.

Ses ennemis eux-mêmes, en la traitant de sorcière, contresignent en quelque sorte le paraphe divin de sa vie. Une sorcière, cette jeune fille toute pure et pieuse, à qui Dieu ne refuse rien ? L’accusation est tellement illogique qu’elle tombe d’elle-même, comme l’indique en ses cadences d’ironie vengeresse le « Frère Dominique » imaginé par Claudel :

« Tous ces grands hommes qui t’on condamnées, des docteurs et ces savants,
Malvenu, Jean Midy, Coupequesne et Toutmouillé,
Ils croient dur au diable mais ile ne veulent pas croire à Dieu.
Le diable c’est une réalité : les Anges c’est une bêtise.
Le diable que tu détestais, il t’a aidée : les Anges que tu invoquais, ils n’ont rien fait.
Et criminelle des deux côtés, ils te condamnent de l’une et de l’autre main.

Telle est la sagesse de la Sorbonne,
Tels sont ces illustres docteurs qui donnent des nazardes au Pape ! »

Une fois de plus, le poète a vu juste : les juges étaient du diable, et jeanne était de Dieu.

Oui, Jeanne est une sainte.

Le pape l’a proclamé : Jeanne est une sainte, une sainte toute jeune, très humaine, mais héroïque en geste et en vertu, radieuse dans son sacrifice, une vraie sainte.

Le 22 février 1456, à Orléans, en présence de Maître Guillaume Bouillé, doyen de Noyon, et de frère Jean Patin, dominicain, le Tribunal de réhabilitation recevait la déposition « d’illustrissime Révérendissime Monseigneur Jean, Comte de Dunois et Longueville, Lieutenant-Général du Roi notre sire ». Le Bâtard d’Orléans s’exprimait ainsi :

« Je crois que Jeanne fut envoyée par Dieu. À Orléans, elle me dit : En nom de Dieu, le Conseil de Dieu notre Sire est plus sage et plus sûr que le vôtre… Je vous apporte meilleur secours qu’eut jamais capitaine ou cité : le secours du Roi du Ciel. Non par amour de moi, mais par le plaisir de Dieu Lui-même ».

Mes Frères, aujourd’hui encore, le secours du Roi du Ciel nous est offert, car Dieu nous aime et il a plaisir à nous sauver. Fondé sur Lui, notre optimisme est raisonnable. Ayons donc confiance dans l’avenir. Avec la Pucelle, la sainte qui nous protège, œuvrons donc à forcer les chemins de l’union, de la paix et de la justice.

Travaillons surtout, agissons et soyons saints, en gardant comme mot d’ordre ce mot que Jeanne répétait en toute circonstance : hardiment, hardiment.

Hardiment, hardiment : « les hommes combattront, et Dieu donnera la victoire ».

Ô Jeanne, fille de France et fille de Dieu, Jeanne victorieuse dans les batailles, victorieuse dans l’affreuse joute du procès, Jeanne victorieuse par la mort, éclaire notre route et rends-nous digne de foi pour recevoir l’aide de Dieu.

Amen.